Fait essentiel : malgré des pics d’audience spectaculaires pendant le Ramadan, Al Aoula peine à enrayer une dynamique d’érosion hors périodes événementielles. La chaîne nationale continue d’attirer des millions en prime time – 13 millions de téléspectateurs et une part d’audience de 34,5% lors des soirées clés – mais ces performances masquent une fragilité structurelle qui se révèle dès que la grille retrouve son rythme habituel.
Le contexte l’explique en partie : le bouquet des services publics capte encore le cœur des foyers marocains pendant le Ftour, avec une part d’audience de 69,1% sur la tranche prime et 37,3% pour la SNRT. Les séries maison — Wlad Izza, Ana Wiak, Salah w Fati — continuent de fédérer des publics massifs et de compenser des limites éditoriales. Pour autant, la montée en puissance des plateformes numériques et des chaînes spécialisées change la donne : Hespress, Chouf TV, Medi1TV, Télé Maroc, Arriyadia ou encore Arrabia grappillent du temps d’écran et des parts de marché, surtout auprès des jeunes.
Sur le terrain, la ménagère de province et le jeune urbain n’ont pas les mêmes habitudes : l’un cherche la tradition et les rendez‑vous télévisés, l’autre zappe entre replay, réseaux sociaux et chaînes thématiques. Ce basculement d’usages est au cœur de l’enquête : comment une chaîne construite pour le large public peut‑elle se moderniser sans trahir son identité ?
En bref : Al Aoula reste puissante en Ramadan mais vulnérable hors pic; 69,1% de PDA pour le bouquet public sur le prime Ftour; succès massif des fictions — Wlad Izza (9,5M, 44,3%) et Ana Wiak (> 10,3M, 36,7%); le JT principal conserve 28% de PDA (4,13M téléspectateurs); concurrence numérique et fragmentation favorisent M, Medi1TV, Hespress, Chouf TV, Télé Maroc, Arriyadia et Arrabia.
Pourquoi l’audience d’Al Aoula continue-t-elle de chuter ? Les limites d’un modèle face à la fragmentation
Le constat initial est simple : les pics saisonniers (notamment le Ramadan) ne suffisent pas à stabiliser une courbe d’audience durable. Al Aoula montre qu’elle sait programmer des succès — la saison 2 de Wlad Izza a atteint plus de 9,5 millions de téléspectateurs le 25e jour du Ramadan et 44,3% de PDA — mais ces records sont concentrés. Hors événements, l’attention se disperse.
Plusieurs causes se conjuguent. D’un côté, la concurrence s’est multipliée : chaînes thématiques et pure players (citons Medi1TV, M, Arriyadia) captent des audiences spécialisées. De l’autre, les médias en ligne comme Hespress ou Chouf TV offrent de la réactivité et des formats courts adaptés aux mobiles. La conséquence est une érosion lente de l’audience moyenne en dehors des rendez‑vous familiaux. Insight : la force événementielle ne compense pas l’absence d’un engagement quotidien renouvelé.
La fiction comme rempart : succès immédiat, défi de la fidélisation
Les séries restent le socle de l’attractivité d’Al Aoula. Ana Wiak a réuni plus de 10,3 millions de téléspectateurs et une PDA moyenne de 36,7%. La troisième saison de Salah w Fati a attiré 7,7 millions et 31,6% de parts d’audience. Ces succès illustrent une stratégie éditoriale gagnante sur le court terme.
Mais l’enjeu est de transformer ces coups d’éclat en fidélité quotidienne. Les formats actuels peinent parfois à prolonger l’engagement via le digital : peu de web‑series dérivées, replay mal optimisé, interaction limitée avec les communautés. Exemple concret : la série patrimoniale lancée en février a démarré fort avec 4,5 millions mais n’a pas réussi à maintenir un public jeune régulier. Insight : sans pont numérique, la fiction reste un feu de paille.
Concurrence, enjeux économiques et érosion des parts hors Ramadan
Sur le plan économique, l’équation se complique. La publicité suit l’audience, mais les annonceurs investissent aussi les plateformes digitales. Al Aoula a amélioré ses chiffres en 2023 — hausse de 13,4% en part d’audience journée entre janvier‑février 2023 et le dernier trimestre 2022, et gain de 800 000 téléspectateurs hebdomadaires — cependant ces gains se concentrent sur des fenêtres précises (prime notamment) et ne garantissent pas une croissance structurelle.
Parallèlement, des acteurs comme Télé Maroc, Hespress ou Chouf TV exploitent la rapidité de l’info et le format mobile pour capter des portions de marché jeunes. Même la chaîne sportive Arriyadia fidélise un public masculin qui regarde aussi le football en direct plutôt que la fiction. Insight : la pression concurrentielle réclame des réponses éditoriales et commerciales coordonnées.
Quelles pistes pour redresser l’audience d’Al Aoula ? Stratégies éditoriales et numériques
Plusieurs leviers peuvent limiter la chute : renforcer la continuité entre antenne et numérique, diversifier les formats pour capter les « micro‑sessions » d’attention, et soigner la jeunesse du public. Al Aoula dispose d’atouts : une marque nationale, des succès de fiction, et des programmes d’information qui tiennent (JT principal : 28% de PDA, 4,13M téléspectateurs).
Concrètement, il s’agit d’industrialiser le replay et les extraits verticalisés, de lancer des formats courts autour des séries phares et d’impliquer les talents (acteurs, réalisateurs) sur les réseaux. La création d’une plateforme de rattrapage intégrée à l’écosystème SNRT, assortie d’un marketing ciblé, offrirait un pont vers les publics nomades. Insight : moderniser sans renier l’ADN populaire est la condition du succès durable.
Une responsabilité éditoriale et publique à réaffirmer
Enfin, la mission d’un service public audiovisuels dépasse la seule course aux chiffres. La hausse du volume documentaire et l’effort de constitution d’une « bibliothèque » montrent une volonté de long terme : le documentaire «Abaq Atourat» a touché près de 2,811M de téléspectateurs avec 27,7% de PDA lors de sa diffusion en janvier 2023. Cet ancrage culturel est une force à valoriser face aux contenus éphémères d’Internet.
En mettant en cohérence programmation populaire, création patrimoniale et stratégie digitale, Al Aoula peut retrouver un chemin de stabilité. Reste la question politique et budgétaire : la modernisation exige des moyens et de la volonté, deux ingrédients dont dépendent les choix à venir.